Ragnar Kjartansson, The Visitors, 2012 (Stills), Nine channel HD video projection.
Durée : 64 minutes. Photos : Elísabet Davidsdóttir. Son: Chris McDonald. Vidéo : Tómas Örn Tómasson
Photos de la vidéo : Gracieuseté de l'artiste et de la galerie Luhring Augustine, New York.
Durée : 64 minutes. Photos : Elísabet Davidsdóttir. Son: Chris McDonald. Vidéo : Tómas Örn Tómasson
Photos de la vidéo : Gracieuseté de l'artiste et de la galerie Luhring Augustine, New York.
Dialogue
par Jean-Philippe Charest et David Francke-Robitaille
L'installation multi-écrans The Visitors de Ragnar Kjartansson, qui était présentée à la Galerie Luhring Augustine ce printemps, permet de mettre en scène les échanges entre musique et arts visuels, mais aussi ceux entre les individus. Nos critiques ont développé leur propre dialogue.
Jean-Philippe :
Dans les années 60, un nouveau phénomène prend de l'ampleur dans le domaine des arts. Il s’agit de la fusion entre la musique et les arts d’avant-garde. L’exposition Sympathy for the Devil (présentée à Musée d'art contemporain de Montréal en 2008), qui réunissait le travail de plus de 60 artistes, expliquait les raisons de cette alliance. Celle-ci était à l’époque presque inévitable. La guerre du Viêt Nam joua un grand rôle dans cette rencontre entre ces deux formes d’art. Les artistes de l’époque contestaient le gouvernement et la politique, par l’image ou par le son (chansons contestataires, pochettes de disque, affiches pour des concerts ou pour des ralliements politiques...). Tous manifestaient leur mécontentement envers le gouvernement. En effet, la musique de l’époque était en quelque sorte la voix des artistes avant-gardistes. Une certaine fraternité s’est alors développée entre ces différents artistes et arts qui, dès l’or, n’a cessé de progresser. Par la suite, malgré que les nouvelles créations réunissant ces deux arts n’aient pas nécessairement un caractère politique, celles-ci ne cessèrent de se développer en art contemporain. L’œuvre The Visitors, de Ragnar Kjartansson, est un exemple très concret de l’héritage de ce croisement entre arts visuels et musique.
David :
J’ouvre la porte, petite pièce blanche, une dame derrière le comptoir. Elle me salue, je prends le texte de présentation, comme dans chaque exposition, et je demande à la dame s’il est permis de prendre des photos. Je pousse le rideau qui est devant l'entrée de la salle. J’entre. Je vois cette installation vidéo qui m'émeut. Et je pleure. Je pleure, je ris et je pleure encore.
J’ai choisi de parler de cette œuvre pour réussir à cerner ce que j’ai ressenti. Pour mettre sur papier, l’inexprimable, du moins essayer de le faire.
L’œuvre n’est pourtant pas si complexe. Dans la même salle d’exposition se côtoient neuf projections vidéo sur écrans. Nous y voyons huit musiciens. Chacun est dans sa pièce. Chacun dans une pièce de la même maison. Chacun a un instrument différent. Chacun, certes seul, mais lié aux autres par une chanson. Le neuvième écran est un plan large de cette maison.
Ce qui m’a frappé en premier c’était paradoxalement le silence, celui de l’écoute des spectateurs. Nous étions environ une vingtaine de personnes dans cette petite pièce sombre et pourtant, aucun ne parlait, tous faisaient le moins de bruit possible. J’ai ensuite compris pourquoi l’œuvre de Kjartansson s’appelait The Visitors : nous les spectateurs, nous sommes comme les visiteurs de la maison. Nous prenons soin de ne pas déranger chaque musicien, même si nous savons qu’ils ne sont pas réellement devant nous. Aucun visiteur ne restait seulement avec un musicien. Lorsqu’on s’approchait d’un écran, on entendait ce musicien plus que les autres, comme si on rentrait vraiment dans la pièce… Nous nous promenions entre les pièces. Voilà pourquoi nous étions des visiteurs.
Jean-Philippe :
Oui, l’œuvre est très touchante et inspirante à plusieurs niveaux. Les paroles de cette chanson sont en fait un poème écrit par l’ex-femme de Ragnar Kjartansson. Le visiteur entend ces mots : «There are stars exploding around you, and there’s nothing, nothing you can do». En fait, cette chanson veut représenter la solitude. Ce sentiment est rendu visible, car nous voyons, la séparation des huit musiciens, isolés chacun dans une pièce. Ils semblent loin les uns des autres et chacun totalement dans un autre monde, mais ils sont en fait tous dans la même maison, à quelques mètres les uns des autres. L’artiste veut chercher à montrer les relations qui existent entre les êtres, mais aussi qui se délabrent au fil du temps. Pourtant, l’espoir fait son apparition alors qu’à la fin du l’œuvre, les participants se retrouvent dans le même écran (devant la maison), et descendent tous ensemble vers la rivière. L’artiste veut que son œuvre mette en scène l’attraction innée que les gens ont pour la beauté. Dans ce sens, la simplicité visuelle de l’œuvre nous permet de nous concentrer sur la beauté de la musique. Le message véhiculé par l’œuvre peut-être interprété de plusieurs façons, mais il y en a une qui semble plus pertinente que les autres: il faut se rappeler le passé, sans oublier de penser au futur... Dans une vieille maison, ces gens se réunissent pour se séparer, pour ensuite finir par se retrouver.
David :
Se retrouver soi-même?
Ragnar Kjartansson est un artiste qui a baigné dans le milieu théâtral étant jeune. Il aime la musique, possède un groupe et écrit des chansons. Dans la musique, il adore en particulier les répétitions, les loopings. Il a découvert cette façon de travailler au théâtre. Il explique, dans une conférence donnée à Banff en 2010, qu’il s’est inspiré de la capacité d’un acteur à reprendre la même réplique avec la même émotion. Il s’est dit que la musique pouvait faire le même effet. Il s’est aussi beaucoup inspiré du travail de Vito Ancconci, artiste italien qui travaille aussi sur la répétition.
Il aime aussi travailler avec les hommes. Pour lui, il n’y a pas de meilleure façon de regarder la lune qu’avec un ami et la musique le rend apte à exprimer ce sentiment. «It’s all about love without falling in love».
Un autre aspect de son travail est son implication physique dans chacune de ses œuvres. Dans The Visitors, il est le personnage assis dans un bain et qui joue de la musique (comme tous les autres). Il dit qu’il aime être dans ses œuvres, car pour lui, c’est comme s’il faisait une expérience sur lui-même.
L'installation multi-écrans The Visitors de Ragnar Kjartansson, qui était présentée à la Galerie Luhring Augustine ce printemps, permet de mettre en scène les échanges entre musique et arts visuels, mais aussi ceux entre les individus. Nos critiques ont développé leur propre dialogue.
Jean-Philippe :
Dans les années 60, un nouveau phénomène prend de l'ampleur dans le domaine des arts. Il s’agit de la fusion entre la musique et les arts d’avant-garde. L’exposition Sympathy for the Devil (présentée à Musée d'art contemporain de Montréal en 2008), qui réunissait le travail de plus de 60 artistes, expliquait les raisons de cette alliance. Celle-ci était à l’époque presque inévitable. La guerre du Viêt Nam joua un grand rôle dans cette rencontre entre ces deux formes d’art. Les artistes de l’époque contestaient le gouvernement et la politique, par l’image ou par le son (chansons contestataires, pochettes de disque, affiches pour des concerts ou pour des ralliements politiques...). Tous manifestaient leur mécontentement envers le gouvernement. En effet, la musique de l’époque était en quelque sorte la voix des artistes avant-gardistes. Une certaine fraternité s’est alors développée entre ces différents artistes et arts qui, dès l’or, n’a cessé de progresser. Par la suite, malgré que les nouvelles créations réunissant ces deux arts n’aient pas nécessairement un caractère politique, celles-ci ne cessèrent de se développer en art contemporain. L’œuvre The Visitors, de Ragnar Kjartansson, est un exemple très concret de l’héritage de ce croisement entre arts visuels et musique.
David :
J’ouvre la porte, petite pièce blanche, une dame derrière le comptoir. Elle me salue, je prends le texte de présentation, comme dans chaque exposition, et je demande à la dame s’il est permis de prendre des photos. Je pousse le rideau qui est devant l'entrée de la salle. J’entre. Je vois cette installation vidéo qui m'émeut. Et je pleure. Je pleure, je ris et je pleure encore.
J’ai choisi de parler de cette œuvre pour réussir à cerner ce que j’ai ressenti. Pour mettre sur papier, l’inexprimable, du moins essayer de le faire.
L’œuvre n’est pourtant pas si complexe. Dans la même salle d’exposition se côtoient neuf projections vidéo sur écrans. Nous y voyons huit musiciens. Chacun est dans sa pièce. Chacun dans une pièce de la même maison. Chacun a un instrument différent. Chacun, certes seul, mais lié aux autres par une chanson. Le neuvième écran est un plan large de cette maison.
Ce qui m’a frappé en premier c’était paradoxalement le silence, celui de l’écoute des spectateurs. Nous étions environ une vingtaine de personnes dans cette petite pièce sombre et pourtant, aucun ne parlait, tous faisaient le moins de bruit possible. J’ai ensuite compris pourquoi l’œuvre de Kjartansson s’appelait The Visitors : nous les spectateurs, nous sommes comme les visiteurs de la maison. Nous prenons soin de ne pas déranger chaque musicien, même si nous savons qu’ils ne sont pas réellement devant nous. Aucun visiteur ne restait seulement avec un musicien. Lorsqu’on s’approchait d’un écran, on entendait ce musicien plus que les autres, comme si on rentrait vraiment dans la pièce… Nous nous promenions entre les pièces. Voilà pourquoi nous étions des visiteurs.
Jean-Philippe :
Oui, l’œuvre est très touchante et inspirante à plusieurs niveaux. Les paroles de cette chanson sont en fait un poème écrit par l’ex-femme de Ragnar Kjartansson. Le visiteur entend ces mots : «There are stars exploding around you, and there’s nothing, nothing you can do». En fait, cette chanson veut représenter la solitude. Ce sentiment est rendu visible, car nous voyons, la séparation des huit musiciens, isolés chacun dans une pièce. Ils semblent loin les uns des autres et chacun totalement dans un autre monde, mais ils sont en fait tous dans la même maison, à quelques mètres les uns des autres. L’artiste veut chercher à montrer les relations qui existent entre les êtres, mais aussi qui se délabrent au fil du temps. Pourtant, l’espoir fait son apparition alors qu’à la fin du l’œuvre, les participants se retrouvent dans le même écran (devant la maison), et descendent tous ensemble vers la rivière. L’artiste veut que son œuvre mette en scène l’attraction innée que les gens ont pour la beauté. Dans ce sens, la simplicité visuelle de l’œuvre nous permet de nous concentrer sur la beauté de la musique. Le message véhiculé par l’œuvre peut-être interprété de plusieurs façons, mais il y en a une qui semble plus pertinente que les autres: il faut se rappeler le passé, sans oublier de penser au futur... Dans une vieille maison, ces gens se réunissent pour se séparer, pour ensuite finir par se retrouver.
David :
Se retrouver soi-même?
Ragnar Kjartansson est un artiste qui a baigné dans le milieu théâtral étant jeune. Il aime la musique, possède un groupe et écrit des chansons. Dans la musique, il adore en particulier les répétitions, les loopings. Il a découvert cette façon de travailler au théâtre. Il explique, dans une conférence donnée à Banff en 2010, qu’il s’est inspiré de la capacité d’un acteur à reprendre la même réplique avec la même émotion. Il s’est dit que la musique pouvait faire le même effet. Il s’est aussi beaucoup inspiré du travail de Vito Ancconci, artiste italien qui travaille aussi sur la répétition.
Il aime aussi travailler avec les hommes. Pour lui, il n’y a pas de meilleure façon de regarder la lune qu’avec un ami et la musique le rend apte à exprimer ce sentiment. «It’s all about love without falling in love».
Un autre aspect de son travail est son implication physique dans chacune de ses œuvres. Dans The Visitors, il est le personnage assis dans un bain et qui joue de la musique (comme tous les autres). Il dit qu’il aime être dans ses œuvres, car pour lui, c’est comme s’il faisait une expérience sur lui-même.