Photo: Flora-Mai Du-Boisclair
Chelsea, victime de son succès?
par Alice Picard, Flora-Mai Du-Boisclair et Sarah Wallengren
Les artistes font-ils toujours le sale boulot?
Le scénario semble toujours être le même : des artistes s’installent dans un quartier peu convoité pour avoir accès à de plus grands espaces à petit prix afin d’en faire des studios. Ils permettent de réhabiliter ce quartier. Des cafés branchés et des boutiques intéressantes s’installent. Des architectes originaux rénovent… Les prix des loyers montent et les artistes finissent par se faire chasser.
C’est une fois encore le cas. À New York, le quartier de Chelsea, autrefois sale et inhabitable, fut colonisé depuis les années 90 par plusieurs artistes et galeristes qui l’ont rendu attrayant. De nos jours, à Chelsea, le prix moyen des locaux à vendre est de 1,450,000 dollars. Et la valeur des prix a augmenté de 92,1% en seulement cinq ans. Les condominiums ont proliféré, tout comme les lofts et les restaurants huppés. Une fois de plus les artistes à l’origine de cette popularité sont forcés de quitter un quartier devenu hors de prix. Les artistes et galeries moins riches devront se relocaliser dans un quartier pourri et inadéquat. Chelsea serait-il entré dans le cercle vicieux de l’urbanisation?
Soho, le quartier branché et sophistiqué que nous connaissons aujourd’hui était, dans les années 80 et le début des années 90, la crèche de toutes les grandes galeries comme Mathew Marks, Barbara Gladstone, Metro Pictures et une centaine d’autres. La migration de boutiques de luxe dans le cœur de ce quartier a eu l’effet d’éloigner les galeries importantes en faisant augmenter les coûts de l’immobilier. Cherchant un autre endroit pour implanter leurs espaces, les galeristes se sont intéressés au quartier non exploité qu’était Chelsea, autrefois quartier industriel. À l’origine, Chelsea n’était pas un endroit attrayant, les infrastructures laissaient à désirer, bref c’était un quartier oublié. L’ironie est que désormais non seulement les petites galeries sans budget ont déménagé vers cet endroit, mais que certaines des plus grandes galeries ont fait de même!
L’idée ingénieuse de réappropriation de la ligne de chemin de fer (High Line) qui passait dans cette partie de New York est un autre élément clé dans la montée en popularité de ce quartier. En effet, en 1999, cette voie de chemin de fer surélevée est devenue une véritable innovation urbanistique, une œuvre d’art. Les résidents du quartier ont fondé Friends of the High Line une association qui a fait aménager ce lieu par James Corner Field Operations et Diller Scofido + Renfro. Cet aménagement a entraîné un nombre important de visiteurs. Ce lieu en plein air, intéressant et agréable à chacune des saisons de l’année, offre l’occasion de se retrouver entre citoyens pour profiter du quartier. Comment se fait-il que dans nos sociétés il n’y a pas assez d’espaces communs où les gens peuvent interagir et se rassembler? La rareté de ces endroits réservés aux citoyens contribue grandement au succès de cette réalisation. Cet espace urbain a vraiment été exploité pour permettre aux citoyens de se rencontrer. Ainsi, l’achalandage n’a cessé d’augmenter, tout comme l’intérêt des entrepreneurs a construire dans ce secteur. Le nombre de bâtiments modernes est devenu de plus en plus important, ce qui a eu comme effet de créer une hausse de la valeur immobilière dans ce quartier. Chelsea est vite devenu la cible de plusieurs architectes contemporains. Les racines de ce quartier industriel ont inspiré une architecture de style post-industriel. L’embourgeoisement de Chelsea a également entraîné un meilleur entretien de l’arrondissement, qui se voit nettoyé et réaménagé de fond en comble. Le prix des logements étant plus élevé, plusieurs se sont vus obligés de partir de leur quartier.
Un phénomène new-yorkais?
Dans cet espace engorgé de galeries, la compétition est féroce. Chacune des galeries cherche à posséder le plus grand espace possible. « The bigger, the better », dit-on. Les artistes jouent un grand rôle dans cette obsession. Leurs œuvres deviennent de plus en plus imposantes et les galeries doivent être à leur hauteur. La conseillère en art, Wendy Cromwell, affirme : « The good galleries are having trouble keeping their artists unless they can offer them a global platform or a space that’s magnificent. » Dans ce quartier où plus d’une centaine de galeries prennent place, certaines ont une renommée internationale, comme la Gagosian. Elles sont si importantes et riches que leurs expositions sont équivalentes à celles des musées. La galerie Gagosian, située dans le quartier de Chelsea, a ouvert récemment un nouvel établissement à Paris. Six semaines auparavant, Thaddeus Ropac, galeriste parisien, annonçait l’ouverture d’une deuxième galerie à New York. La compétition entre les galeries dépasse donc l’échelle du quartier. La mondialisation nous atteint tous. Le problème de toutes ces expansions est que les petites galeries se retrouvent encore perdantes. Leur espace limité est plus ou moins attrayant et elles se font manger par les « méga-galeries ».
On peut aussi voir les effets de ce phénomène dans notre propre ville. La Centre Clark, a du déménager, car le quartier où il logeait (le quartier des spectacles) était devenu trop cher. Le Centre Clark, maintenant établi dans le Mile-End, est de nouveau face à ce problème. Ce quartier autrefois industriel et qui n’était même pas doté de trottoirs est maintenant devenu branché. Pour contrer la hausse des prix dans le Mile-End, des citoyens ont formé le regroupement Pied Carré (Pi2). Cet organisme a pour but de protéger les artistes, musiciens de cette situation. En effet, Le Mile-End est aujourd’hui un des quartiers les plus créatifs du Canada et on y retrouve même le double de personne qui y travaille que de personne qui y vivent. Le caractère artistique du quartier a suscité l’intérêt de plusieurs, ce qui a eu un effet ravageur sur les prix des logements. L’organisme Pi2 a donc pour objectif de représenter ses membres, soit les artistes, artisans, musiciens et travailleurs cultures basés dans le quartier St-Viateur Est. Elle cherche à conserver et promouvoir l’aspect culturel et créatif du Mile-End.
C’est ainsi qu’on réalise que ce n’est pas qu’ailleurs que les habitants d’un quartier peuvent se voir chassés du jour au lendemain!
Mais il est ici important de faire la part des choses. Il n’y a pas que des points négatifs à ce phénomène. Chelsea est maintenant LE quartier à visiter lorsqu’on se paye un week-end à New York, surtout lorsqu’on est passionné d’art. Chelsea est aujourd’hui considéré comme la référence internationale dans le domaine de l’art contemporain et de l’urbanisme. Plusieurs galeries montrent des œuvres d’art de grand calibre, qui innovent, choquent ou séduisent. Tout ça grâce au potentiel qu’offrait ce petit coin de New York, auparavant oublié… Dans Chelsea, on a aussi préservé certains bâtiments d’origine pour les transformer en restaurants ou grands marchés, bâtiments qui rendent cet endroit unique. Le meilleur exemple est probablement le Chelsea Market qui s’est approprié un ancien entrepôt. Cette réutilisation d’espace ingénieuse renforce grandement l’intérêt du quartier puisqu’il lui donne un caractère unique! C’est un atout très intéressant de l’urbanisation d’un quartier comme Chelsea, puisqu’il incite les entrepreneurs à réfléchir sur les manières de réutiliser d’anciens bâtiments et structures, plutôt que les détruire.
Les artistes font-ils toujours le sale boulot?
Le scénario semble toujours être le même : des artistes s’installent dans un quartier peu convoité pour avoir accès à de plus grands espaces à petit prix afin d’en faire des studios. Ils permettent de réhabiliter ce quartier. Des cafés branchés et des boutiques intéressantes s’installent. Des architectes originaux rénovent… Les prix des loyers montent et les artistes finissent par se faire chasser.
C’est une fois encore le cas. À New York, le quartier de Chelsea, autrefois sale et inhabitable, fut colonisé depuis les années 90 par plusieurs artistes et galeristes qui l’ont rendu attrayant. De nos jours, à Chelsea, le prix moyen des locaux à vendre est de 1,450,000 dollars. Et la valeur des prix a augmenté de 92,1% en seulement cinq ans. Les condominiums ont proliféré, tout comme les lofts et les restaurants huppés. Une fois de plus les artistes à l’origine de cette popularité sont forcés de quitter un quartier devenu hors de prix. Les artistes et galeries moins riches devront se relocaliser dans un quartier pourri et inadéquat. Chelsea serait-il entré dans le cercle vicieux de l’urbanisation?
Soho, le quartier branché et sophistiqué que nous connaissons aujourd’hui était, dans les années 80 et le début des années 90, la crèche de toutes les grandes galeries comme Mathew Marks, Barbara Gladstone, Metro Pictures et une centaine d’autres. La migration de boutiques de luxe dans le cœur de ce quartier a eu l’effet d’éloigner les galeries importantes en faisant augmenter les coûts de l’immobilier. Cherchant un autre endroit pour implanter leurs espaces, les galeristes se sont intéressés au quartier non exploité qu’était Chelsea, autrefois quartier industriel. À l’origine, Chelsea n’était pas un endroit attrayant, les infrastructures laissaient à désirer, bref c’était un quartier oublié. L’ironie est que désormais non seulement les petites galeries sans budget ont déménagé vers cet endroit, mais que certaines des plus grandes galeries ont fait de même!
L’idée ingénieuse de réappropriation de la ligne de chemin de fer (High Line) qui passait dans cette partie de New York est un autre élément clé dans la montée en popularité de ce quartier. En effet, en 1999, cette voie de chemin de fer surélevée est devenue une véritable innovation urbanistique, une œuvre d’art. Les résidents du quartier ont fondé Friends of the High Line une association qui a fait aménager ce lieu par James Corner Field Operations et Diller Scofido + Renfro. Cet aménagement a entraîné un nombre important de visiteurs. Ce lieu en plein air, intéressant et agréable à chacune des saisons de l’année, offre l’occasion de se retrouver entre citoyens pour profiter du quartier. Comment se fait-il que dans nos sociétés il n’y a pas assez d’espaces communs où les gens peuvent interagir et se rassembler? La rareté de ces endroits réservés aux citoyens contribue grandement au succès de cette réalisation. Cet espace urbain a vraiment été exploité pour permettre aux citoyens de se rencontrer. Ainsi, l’achalandage n’a cessé d’augmenter, tout comme l’intérêt des entrepreneurs a construire dans ce secteur. Le nombre de bâtiments modernes est devenu de plus en plus important, ce qui a eu comme effet de créer une hausse de la valeur immobilière dans ce quartier. Chelsea est vite devenu la cible de plusieurs architectes contemporains. Les racines de ce quartier industriel ont inspiré une architecture de style post-industriel. L’embourgeoisement de Chelsea a également entraîné un meilleur entretien de l’arrondissement, qui se voit nettoyé et réaménagé de fond en comble. Le prix des logements étant plus élevé, plusieurs se sont vus obligés de partir de leur quartier.
Un phénomène new-yorkais?
Dans cet espace engorgé de galeries, la compétition est féroce. Chacune des galeries cherche à posséder le plus grand espace possible. « The bigger, the better », dit-on. Les artistes jouent un grand rôle dans cette obsession. Leurs œuvres deviennent de plus en plus imposantes et les galeries doivent être à leur hauteur. La conseillère en art, Wendy Cromwell, affirme : « The good galleries are having trouble keeping their artists unless they can offer them a global platform or a space that’s magnificent. » Dans ce quartier où plus d’une centaine de galeries prennent place, certaines ont une renommée internationale, comme la Gagosian. Elles sont si importantes et riches que leurs expositions sont équivalentes à celles des musées. La galerie Gagosian, située dans le quartier de Chelsea, a ouvert récemment un nouvel établissement à Paris. Six semaines auparavant, Thaddeus Ropac, galeriste parisien, annonçait l’ouverture d’une deuxième galerie à New York. La compétition entre les galeries dépasse donc l’échelle du quartier. La mondialisation nous atteint tous. Le problème de toutes ces expansions est que les petites galeries se retrouvent encore perdantes. Leur espace limité est plus ou moins attrayant et elles se font manger par les « méga-galeries ».
On peut aussi voir les effets de ce phénomène dans notre propre ville. La Centre Clark, a du déménager, car le quartier où il logeait (le quartier des spectacles) était devenu trop cher. Le Centre Clark, maintenant établi dans le Mile-End, est de nouveau face à ce problème. Ce quartier autrefois industriel et qui n’était même pas doté de trottoirs est maintenant devenu branché. Pour contrer la hausse des prix dans le Mile-End, des citoyens ont formé le regroupement Pied Carré (Pi2). Cet organisme a pour but de protéger les artistes, musiciens de cette situation. En effet, Le Mile-End est aujourd’hui un des quartiers les plus créatifs du Canada et on y retrouve même le double de personne qui y travaille que de personne qui y vivent. Le caractère artistique du quartier a suscité l’intérêt de plusieurs, ce qui a eu un effet ravageur sur les prix des logements. L’organisme Pi2 a donc pour objectif de représenter ses membres, soit les artistes, artisans, musiciens et travailleurs cultures basés dans le quartier St-Viateur Est. Elle cherche à conserver et promouvoir l’aspect culturel et créatif du Mile-End.
C’est ainsi qu’on réalise que ce n’est pas qu’ailleurs que les habitants d’un quartier peuvent se voir chassés du jour au lendemain!
Mais il est ici important de faire la part des choses. Il n’y a pas que des points négatifs à ce phénomène. Chelsea est maintenant LE quartier à visiter lorsqu’on se paye un week-end à New York, surtout lorsqu’on est passionné d’art. Chelsea est aujourd’hui considéré comme la référence internationale dans le domaine de l’art contemporain et de l’urbanisme. Plusieurs galeries montrent des œuvres d’art de grand calibre, qui innovent, choquent ou séduisent. Tout ça grâce au potentiel qu’offrait ce petit coin de New York, auparavant oublié… Dans Chelsea, on a aussi préservé certains bâtiments d’origine pour les transformer en restaurants ou grands marchés, bâtiments qui rendent cet endroit unique. Le meilleur exemple est probablement le Chelsea Market qui s’est approprié un ancien entrepôt. Cette réutilisation d’espace ingénieuse renforce grandement l’intérêt du quartier puisqu’il lui donne un caractère unique! C’est un atout très intéressant de l’urbanisation d’un quartier comme Chelsea, puisqu’il incite les entrepreneurs à réfléchir sur les manières de réutiliser d’anciens bâtiments et structures, plutôt que les détruire.