ContreTemps romantiques
par Gabrielle de Fontenay et Rebecca Dory
New York. Quartier Chelsea. Galerie 303 sur la 21e rue Ouest. Cela fait déjà plusieurs mois que l’ouragan Sandy a fait ses ravages et que les galeries ont été remises à neuf. Pourtant, en entrant à l’intérieur de cette riche galerie, le visiteur se croira revenu au lendemain de la catastrophe. De l’eau coule du plafond, une immense nappe d’eau occupe le centre de la galerie, il y a des trous dans les murs, de la boue dégouline sur une sculpture formée du mot ART alors qu’une autre est éclatée en petits morceaux… De quoi s’agit-il?
Il s’agit d’une œuvre de Doug Aitken. Artiste d’avant-garde, il est reconnu pour ses installations éclatées et multiformes où se rencontrent librement plusieurs médias artistiques: photographie, sculpture, interventions architecturales, film et son... On peut vraiment reconnaître la facture d’Aitken dans cette exposition, c’est-à-dire des œuvres grandioses qui nous transportent dans un autre monde... Il emprunte d’ailleurs son esthétique aux productions hollywoodiennes. En effet, beaucoup de ses œuvres peuvent nous faire penser à un décor de film. C’est surement à cause de leur aspect dramatique, spacieux, recherché, qu’il crée cet effet. Le fait qu’il soit né en Californie est peut être la cause de son intérêt pour cette esthétique. Il essaie aussi constamment de travailler sur le concept d’installation afin de créer un éclatement de la notion d’image. Aitken a d’ailleurs fait plusieurs films qui travaillent sur des « narrations [s] multiples [s avec des] projections parallèles » qui se réfèrent les unes aux autres. Un exemple : un de ces films, Sleepwalkers, une œuvre pour laquelle il a filmé des somnambules qu’il a projetés sur le devant de façades d’immeubles.
Certes, Doug Aitken s’est fortement inspiré du Romantisme du 19e siècle pour cette exposition. Effectivement, les romantiques avaient développé une obsession pour le temps qui passe et détruit tout, d’où leur fascination pour la ruine qui était selon eux la meilleure représentation de ce phénomène. On peut retrouver ce thème dans toutes les œuvres d’Aitken dans cette exposition, en commençant par la plus imposante : la Sonic Fountain. Il s’agit d’un grand cratère creusé à même le sol rempli d’une eau à l’aspect laiteux. Suspendus, en carré au plafond, des tuyaux laissent tomber des gouttes d’eau de manière rythmée. Le son produit par ces gouttes est amplifié par des microphones situés sous l’eau et des haut-parleurs suspendus. Parfois, le rythme est calme, mais des fois, il se transforme en rafales plus intenses. La répétition de la mélodie créée par les gouttes d’eau fait référence au passage du temps qui est un cycle de destruction et de vie.
Tout aussi inspirée du romantisme est l’œuvre Sunset (Black) qui se trouve à l’intérieur d’un trou dans un mur. Le titre écrit en lettres noires luminescentes étonne. Cette œuvre nous donne l’impression d’avoir été faites de roches volcaniques ou de débris cosmiques tout droit sortis d’un monde parallèle où la pénombre dominerait. Cette œuvre a aussi un lien très fort avec le temps, car les couchers de soleil délimitent nos journées.
Puis, il y a MORE (Shattered Pour), une sculpture en miroirs brisés qui crée un caléidoscope fragmentant la pièce en une multitude de petites images. Comme un film, cette œuvre est un collage de moments et d’images.... On peut y voir la destruction de l’idée d’un temps présent unifié, monolithique, par le fait que le miroir soit cassé et qu’il montre ainsi plusieurs facettes d’un même moment et d’un même monde.
Il y a également Fountain (Earth Fountain) qui présente le mot « ART » en plexiglas. Une sorte de boue orangée recouvre ce mot et coule de manière continuelle. Dans cette œuvre, on peut aussi retrouver le concept du sublime que les romantiques avaient inventé. Le sublime est un paradoxe : ce qui est laid nous paraît attirant alors que ce qui est beau nous semble repoussant. À première vue, Fountain semble attirante, presque faite de chocolat fondu. Cependant, ce qui le recouvre n’est autre que de la boue. On peut également voir dans cette illusion une critique de l’art à un moment semble laid et puis devient avec le temps l’exemple même du bon goût... Un exemple qui illustre bien ce phénomène: les artistes impressionnistes étaient à leur époque considérés comme très provocateurs (leurs toiles paraissaient comme des brouillons auprès du public) alors que de nos jours c’est l’art que les personnes préfèrent et trouvent le plus joli.
100 YRS
Le titre de l’expo (100 YRS), tiré de l’œuvre du même nom, fait également référence au temps. Il est possible que l’artiste ait choisi de parler de la notion de siècle car c’est une unité de temps qui marque l’imaginaire collectif. Par exemple, le 20e siècle a été très riche en changements. À côté de cette œuvre est amassé un tas de pierres. Cette décision de Doug Aitken de mettre dans son exposition quelque chose d’aussi brut démontre son intérêt pour des éléments qui ne sont pas nécessairement beaux une fois sortis du contexte de l’exposition.
L’exposition présente aussi l’œuvre Not Enough Time in the Day (Lightbox) qui est tout simplement une boîte lumineuse qui clignote de manière cyclique. Le lien dans cette œuvre avec le romantisme est dans la conscience exacerbée du temps qui passe, notion qui est encore très valable de nos jours. En effet, notre société est prise dans une frénésie et un stress constants; les personnes travaillent énormément et ils sont joignables partout. Auparavant, la journée de travail finissait lorsque les gens rentraient chez eux tandis que de nos jours, avec l’Internet et le téléphone, les patrons peuvent joindre leurs employés n’importe quand et ainsi, rallonger leur journée de travail. Les personnes ont donc le sentiment qu’ils n’ont pas assez de temps pour profiter de la vie.
Bref, 100 YRS est une exposition artistiquement et intellectuellement riche, car elle s’approprie les romantiques et leur souci constant de réfléchir au temps qui passe. De plus, elle nous rappelle que la catastrophe n’est jamais bien loin, en nous présentant une galerie détruite pour nous signifier à quel point le monde change vite et comment la mémoire oublie vite... Dans ce quartier riche, certains ont déjà pu oublier les dégâts qu’a pu causer Sandy seulement quelques mois plus tôt. À moins que le désir de l’artiste ait été de nous projeter dans un futur où l’art d’aujourd’hui serait déjà dépassé et démodé! Tout passe, tout meurt, même l’art qui traite de la mort.
New York. Quartier Chelsea. Galerie 303 sur la 21e rue Ouest. Cela fait déjà plusieurs mois que l’ouragan Sandy a fait ses ravages et que les galeries ont été remises à neuf. Pourtant, en entrant à l’intérieur de cette riche galerie, le visiteur se croira revenu au lendemain de la catastrophe. De l’eau coule du plafond, une immense nappe d’eau occupe le centre de la galerie, il y a des trous dans les murs, de la boue dégouline sur une sculpture formée du mot ART alors qu’une autre est éclatée en petits morceaux… De quoi s’agit-il?
Il s’agit d’une œuvre de Doug Aitken. Artiste d’avant-garde, il est reconnu pour ses installations éclatées et multiformes où se rencontrent librement plusieurs médias artistiques: photographie, sculpture, interventions architecturales, film et son... On peut vraiment reconnaître la facture d’Aitken dans cette exposition, c’est-à-dire des œuvres grandioses qui nous transportent dans un autre monde... Il emprunte d’ailleurs son esthétique aux productions hollywoodiennes. En effet, beaucoup de ses œuvres peuvent nous faire penser à un décor de film. C’est surement à cause de leur aspect dramatique, spacieux, recherché, qu’il crée cet effet. Le fait qu’il soit né en Californie est peut être la cause de son intérêt pour cette esthétique. Il essaie aussi constamment de travailler sur le concept d’installation afin de créer un éclatement de la notion d’image. Aitken a d’ailleurs fait plusieurs films qui travaillent sur des « narrations [s] multiples [s avec des] projections parallèles » qui se réfèrent les unes aux autres. Un exemple : un de ces films, Sleepwalkers, une œuvre pour laquelle il a filmé des somnambules qu’il a projetés sur le devant de façades d’immeubles.
Certes, Doug Aitken s’est fortement inspiré du Romantisme du 19e siècle pour cette exposition. Effectivement, les romantiques avaient développé une obsession pour le temps qui passe et détruit tout, d’où leur fascination pour la ruine qui était selon eux la meilleure représentation de ce phénomène. On peut retrouver ce thème dans toutes les œuvres d’Aitken dans cette exposition, en commençant par la plus imposante : la Sonic Fountain. Il s’agit d’un grand cratère creusé à même le sol rempli d’une eau à l’aspect laiteux. Suspendus, en carré au plafond, des tuyaux laissent tomber des gouttes d’eau de manière rythmée. Le son produit par ces gouttes est amplifié par des microphones situés sous l’eau et des haut-parleurs suspendus. Parfois, le rythme est calme, mais des fois, il se transforme en rafales plus intenses. La répétition de la mélodie créée par les gouttes d’eau fait référence au passage du temps qui est un cycle de destruction et de vie.
Tout aussi inspirée du romantisme est l’œuvre Sunset (Black) qui se trouve à l’intérieur d’un trou dans un mur. Le titre écrit en lettres noires luminescentes étonne. Cette œuvre nous donne l’impression d’avoir été faites de roches volcaniques ou de débris cosmiques tout droit sortis d’un monde parallèle où la pénombre dominerait. Cette œuvre a aussi un lien très fort avec le temps, car les couchers de soleil délimitent nos journées.
Puis, il y a MORE (Shattered Pour), une sculpture en miroirs brisés qui crée un caléidoscope fragmentant la pièce en une multitude de petites images. Comme un film, cette œuvre est un collage de moments et d’images.... On peut y voir la destruction de l’idée d’un temps présent unifié, monolithique, par le fait que le miroir soit cassé et qu’il montre ainsi plusieurs facettes d’un même moment et d’un même monde.
Il y a également Fountain (Earth Fountain) qui présente le mot « ART » en plexiglas. Une sorte de boue orangée recouvre ce mot et coule de manière continuelle. Dans cette œuvre, on peut aussi retrouver le concept du sublime que les romantiques avaient inventé. Le sublime est un paradoxe : ce qui est laid nous paraît attirant alors que ce qui est beau nous semble repoussant. À première vue, Fountain semble attirante, presque faite de chocolat fondu. Cependant, ce qui le recouvre n’est autre que de la boue. On peut également voir dans cette illusion une critique de l’art à un moment semble laid et puis devient avec le temps l’exemple même du bon goût... Un exemple qui illustre bien ce phénomène: les artistes impressionnistes étaient à leur époque considérés comme très provocateurs (leurs toiles paraissaient comme des brouillons auprès du public) alors que de nos jours c’est l’art que les personnes préfèrent et trouvent le plus joli.
100 YRS
Le titre de l’expo (100 YRS), tiré de l’œuvre du même nom, fait également référence au temps. Il est possible que l’artiste ait choisi de parler de la notion de siècle car c’est une unité de temps qui marque l’imaginaire collectif. Par exemple, le 20e siècle a été très riche en changements. À côté de cette œuvre est amassé un tas de pierres. Cette décision de Doug Aitken de mettre dans son exposition quelque chose d’aussi brut démontre son intérêt pour des éléments qui ne sont pas nécessairement beaux une fois sortis du contexte de l’exposition.
L’exposition présente aussi l’œuvre Not Enough Time in the Day (Lightbox) qui est tout simplement une boîte lumineuse qui clignote de manière cyclique. Le lien dans cette œuvre avec le romantisme est dans la conscience exacerbée du temps qui passe, notion qui est encore très valable de nos jours. En effet, notre société est prise dans une frénésie et un stress constants; les personnes travaillent énormément et ils sont joignables partout. Auparavant, la journée de travail finissait lorsque les gens rentraient chez eux tandis que de nos jours, avec l’Internet et le téléphone, les patrons peuvent joindre leurs employés n’importe quand et ainsi, rallonger leur journée de travail. Les personnes ont donc le sentiment qu’ils n’ont pas assez de temps pour profiter de la vie.
Bref, 100 YRS est une exposition artistiquement et intellectuellement riche, car elle s’approprie les romantiques et leur souci constant de réfléchir au temps qui passe. De plus, elle nous rappelle que la catastrophe n’est jamais bien loin, en nous présentant une galerie détruite pour nous signifier à quel point le monde change vite et comment la mémoire oublie vite... Dans ce quartier riche, certains ont déjà pu oublier les dégâts qu’a pu causer Sandy seulement quelques mois plus tôt. À moins que le désir de l’artiste ait été de nous projeter dans un futur où l’art d’aujourd’hui serait déjà dépassé et démodé! Tout passe, tout meurt, même l’art qui traite de la mort.